
Rebecca (à gauche) et Virgile (à droite) ont emmenagé il y a un mois (Gaëtane Rohr et Louis Mbembe)
Un air de musique électro résonne dans la pièce enfumée alors que les invités discutent et se servent à boire. Parfois, les fêtards dessinent sur le mur brut du couloir, entretenant l'ambiance « squat » des débuts. La décoration de ce pavillon de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne) est à l'image des cinq étudiants qui s'y sont installés : militante et artistique.
Dans le salon, une chronologie illustrant l'histoire du jazz du XXe siècle côtoie un Jimi Hendrix sous acide. La cheminée a été ramonée il y a peu et un feu crépite. Un bar en briques encadré de poutres en bois massives ouvre sur la cuisine. Après le vestibule, la porte à droite mène à la chambre de Matthieu, envahie de livres et de bandes dessinées.
Un loyer de 215 euros + des travaux
Et lorsque l'on sort dans le jardin, une poule noir de jais accueille les nombreux visiteurs tandis que Shakren, le chat, se prélasse.
Avec trois guitaristes, la musique tient une place prépondérante dans la vie commune. A l'étage, Quentin, 22 ans, étudiant en école de musique, travaille une partition sur son ordinateur. Dans la chambre d'Hugo, 23 ans, ami d'enfance et lui aussi bassiste, dorment quatre guitares.
Quentin résume le sentiment qui les a poussés à quitter le cocon familial : « Pas envie de rester avec les vieux. » Alors ils décident « de se mettre en colocation ». Pierre et Mathieu, étudiants en histoire, rejoindront l'aventure.

La chambre d'Hugo (Gaëtane Rohr et Louis Mbembe)
Les visites sont infructueuses, jusqu'à cette opportunité : « Ma grand-mère est venue nous dire que mon grand-oncle louait une baraque à Vitry », explique Hugo. Une maison située à deux pas de la gare du RER, à dix minutes de Paris. Parfait sur le papier. Dans la réalité, la maison est en piteux état. Hugo explique :
« Elle appartenait à la cousine de mon grand-oncle et date de 1897. C'était un relais pour les carrosses de passage. A la mort de cette cousine, mon oncle en a héritée. »
Ils négocient avec ce dernier et trouvent un compromis : chacun d'eux s'acquitte d'un loyer de 215 euros par mois et s'engage à rénover la bâtisse. Ils signent un bail de trois ans.
Un véritable chantier

Le salon en 2009, avant travaux (Gaëtane Rohr et Louis Mbembe)
A leur arrivée, en septembre 2009, la maison a les allures d'un squat : papier peint d'un autre âge, poussière, vétusté des installations et… pas de chauffage. « C'était spartiate », se remémore Quentin, dans un sourire :
« On a tout repeint, poncé les murs. On dormait tous les trois dans des sacs de couchage dans le salon et, dès que les chambres ont été en état, on s'y est installés. »
Premier hiver difficile, avec une isolation qui laisse à désirer et un froid mordant. « 8°C dans ma chambre ! », s'exclame Hugo. « On se réchauffait en buvant des bières », ajoute Quentin.
« On en a chié, mais le concept était sympa »
lIs repeignent d'abord la chambre du rez-de-chaussée, puis celles situées à l'étage, « pour avoir chacun notre petit coin tranquille », dit Quentin. Vient le tour du salon et de la cuisine, les deux années suivantes. Leurs proches mettent la main à la pâte, fournissent une ponceuse, salvatrice : « On avait commencé à gratter les murs à la main comme des cons », lâche Quentin.
Ils ramènent leur mobilier, puis l'électricité est refaite. « On en a chié mais c'était sympa le concept de retaper la maison pour y vivre. »
Lorsque les musiciens de la coloc s'y mettent, ils organisent des jam-sessions de jazz qui n'améliorent pas les relations, parfois tendues, avec le voisinage.
« Finalement, la baraque est ouverte. Si quelqu'un veut crécher ici à la fin d'une soirée ou plus longtemps, il trouvera toujours un lit », dit Matthieu.
« Je regrette de pas en avoir fait un lieu de rendez-vous pour débattre », poursuit Matthieu. Il est très politisé, à l'instar de Pierre, actuellement à l'étranger, et de Quentin. Le frigo est entièrement retapissé d'autocollants et de tracts siglés CGT, PCF ou Front de Gauche.
A l'heure de ranger, ici, pas de tâche assignée. C'est selon la bonne volonté de chacun. Seule la comptabilité fait l'objet d'un suivi, avec un tableau détaillant les dettes de chacun. Matthieu rigole :
« On s'était amusé à se distribuer des notes comme [l'agence de notation] Standard & Poor's. Je devais de l'argent, j'étais noté A- ! »
Gaëtane Rohr et Louis Mbembe