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9 octobre 2012 2 09 /10 /octobre /2012 18:24

 

Compte rendu | Le Monde.fr | 01.10.12 | 15h02   •  Mis à jour le 09.10.12 | 16h12

 
 

 

Jorge Sampaio, l'ancien chef de l'Etat portugais, à la tribune de l'Assemblée nationale en France.

Jorge Sampaio, l'ancien chef de l'Etat portugais, à la tribune de l'Assemblée nationale en France.AP/CHARLES PLATIAU


Dans un chat, mardi 9 octobre, Jorge Sampaio, ancien président de la République du Portugal analyse l'état de la démocratie dans le monde, spécialement en Europe.

Dans un chat, mardi 9 octobre, Jorge Sampaio, ancien président de la République du Portugal analyse l'état de la démocratie dans le monde, spécialement en Europe.

 

André : Pourquoi à votre avis, la démocratie semble avoir reculé ?

Jorge Sampaio : Je pense que la démocratie ne recule pas. Au contraire, elle avance. C'est peut-être paradoxal parce qu'elle avance alors qu'elle fait face à de nouveaux défis et qu'il faut peut-être la redéfinir.

Je voudrais récupérer ici la définition de "démocratie" à partir d'un auteur indien assez connu, Amartya Sen, professeur, prix Nobel d'économie en 1998. J'en retiens deux idées phares :

1) la démocratie est un concept uniquement occidental qui serait inadapté aux autres civilisations. Cela veut dire que je refuse une conception trop réductrice de la démocratie, résumant celle-ci aux élections libres et au pluralisme des partis, même si ce sont des choses essentielles.

La démocratie doit être appréhendée plus globalement - d'après cet auteur - comme une culture de la délibération, du débat public, qui n'est nullement exclusif à l'Occident. Et nous nous souvenons bien entendu qu'il y a de nombreux exemples au sein des civilisations asiatiques, arabes, africaines, qui effectivement mettent en exergue le pluralisme des racines de la démocratie. A partir de ce constat, il faut redéfinir le système démocratique, souligner sa vocation à l'universalité, sachant qu'il représente une source incontournable de progrès social.

C'est pour cela, si je regarde la situation d'un point de vue général, qu'il faut mettre en exergue ce caractère fondamental de la démocratie comme gouvernement par la discussion, ce qui requiert bien sûr que le débat public soit pris au sérieux et canalisé par des moyens d'information, de communication libres et responsables.

2) Ce gouvernement par la discussion - c'est essentiel - est soutenu par la quête de réaliser une société juste. Je voudrais dire aussi que la démocratie est un moyen, dans une société humaine, essentiel. Elle n'est pas un but en soi. Effectivement, la démocratie, ainsi que les droits de l'homme, est un moyen pour réaliser l'équité. Même s'il est impossible, malheureusement, de réaliser parfaitement une société juste, cela n'exclut certainement pas qu'on fasse tout pour éliminer ce qui est manifestement injuste. C'est ici précisément que les défis se posent.

 

Visiteur : Parler de racines de la démocratie sous-entendrait quand même qu'elle est exogène aux différentes civilisations que vous venez de citer. Est-ce le cas ?

Jorge Sampaio : C'est précisément le contraire. Je viens de dire que le concept de démocratie n'est pas un concept uniquement occidental, ce qui veut dire qu'il y a de nombreux exemples au sein de plusieurs civilisations. Ce qui n'est pas du tout la même chose, c'est de dire qu'il n'y a qu'un modèle. Il y a des choses essentielles dans ce modèle, mais des manifestations qui sont toujours démocratiques, à mon avis.

 

Louis : Comment expliquez-vous le fossé qui se creuse entre les pouvoirs et les sociétés ?

Jorge Sampaio : En regardant l'Europe, je me place du côté des Etats nationaux. Il faut absolument, par exemple, que les citoyens se reconnaissent dans la construction d'une Europe démocratique et surtout, qu'ils aient la possibilité d'avoir leur mot à dire.

Aujourd'hui, ce que la crise montre, c'est qu'il y a des épreuves très sérieuses au niveau des Etats nationaux. Je vous donne quatre exemples qui essaient de répondre largement à la question.
Au niveau économique, que faire du chômage croissant et de la perte de vitesse économique ? Autre question essentielle pour l'avenir ; au niveau des fonctions de l'Etat providence, comment garantir cette fonction essentielle à mon avis de l'Etat en tant que garant de la cohésion, de l'égalité entre les citoyens, de la justice sociale, etc. ? Troisième point : au niveau de la gouvernance de la diversité culturelle, comment réconcilier la diversité croissante de nos sociétés et la cohésion identitaire ?
Et cela autour de quelles valeurs ?

Finalement, je rejoins la question du début : il y a un paradoxe politique énorme aujourd'hui en Europe : les gens continuent à être européens même si la statistique en sa faveur diminue. Nous sommes plongés dans la globalisation, et l'Europe en tant qu'Europe est la seule réponse collective et multilatérale. Mais en même temps, les gens, dans chaque pays, sont pour certains plus nationalistes que jamais, et sont concernés par des problèmes immédiats et des incertitudes qui sont aujourd'hui un peu partout.

Il y a donc deux tensions contradictoires : la nécessité d'une vision multilatérale qui puisse attaquer les problèmes globaux, et de l'autre côté, le chômage, les nouveaux problèmes d'insécurité au niveau des entreprises, au niveau des retraites, etc. Cela incite les gens à une certaine méfiance vis-à-vis des partis politiques et des politiques en général. C'est très dangereux, et il faut faire un nouvel effort pour rapprocher les citoyens des institutions politiques.

 

Visiteur : Est-ce encore aujourd'hui possible de concilier démocratie et mondialisation ?

Jorge Sampaio : Ce qu'il faut, c'est précisément essayer de trouver une réponse dossier par dossier, de traduire les défis globaux dans davantage d'équité et de solidarité au niveau des Etats nationaux.

C'est la grande question, nous sommes plongés dans une globalisation interminable, nous avons besoin d'une gouvernance mondiale, les institutions internationales datent de la fin de la guerre de 1939-1945, et le monde a beaucoup changé entretemps. Nous avons besoin d'une nouvelle articulation entre les institutions à créer de la gouvernance mondiale, qui n'existe pas, et les institutions au niveau régional et au niveau national. Un exemple : on est passé du G7 à G8, du G8 au G20, mais que signifie cela au niveau de la gouvernance mondiale ? Il y a des manques énormées là-dessus.

 

Marina : Peut-on gouverner tout en étant proche du peuple, sans cynisme ni mépris tout en évitant les pièges du populisme ?

Jorge Sampaio : J'espère que les citoyens se sentent représentés par ceux qui sont élus. C'est une question de système électoral, de transparence, de démocratie au niveau local, de connexions avec les réseaux sociaux qui existent maintenant et ont une influence croissante, même si c'est insuffisant pour la constitution d'institutions.

La proximité est quelque chose d'essentiel. Un exemple populiste : si un membre du gouvernement se déplace dans une voiture Renault haut de gamme, noire, dans certains quartiers, c'est terrible, même si on ne doit pas s'aligner sur cette sorte de raisonnement. Il faut donc trouver les moyens de la proximité. Ici, je vois les mairies, les comités de quartier, les écoles, les professeurs, qui sont des agents nouveaux de participation avec lesquels on doit compter. Les syndicats sont essentiels, mais ne représentent pas tout le monde du travail, en fin de compte, et c'est cela qui est difficile.

Autre exemple : une mairie va faire un plan d'urbanisation d'un quartier. Comment consulter les gens ? Comment les faire participer ? On peut donner des milliers d'exemples. Nous sommes donc dans une société en transition qui essaie de traduire une façon que je qualifierai de modérée - en combattant les extrémismes -, en trouvant les consensus pour faire avancer les progrès.

C'est peut-être très théorique, mais d'après mon expérience comme maire ou président de la République, au-delà des angoisses, au-delà des fondamentalismes et des extrémismes, il faut établir un dialogue profond, une connaissance et une éducation de l'autre, et en cela je rejoins ce que j'ai dit en commençant : il faut avoir comme but de réaliser une société juste, une gouvernance responsable, et une culture de débat public, qui est aujourd'hui difficile à organiser.

 

Paulo : L'austérité qui sévit dans les pays du sud de l'Europe peut-elle détruire les démocraties ?

Jorge Sampaio : Excellente question pour un ancien président de la République d'un pays du sud de l'Europe. C'est évident, je vois ce qui se passe dans d'autres pays du sud. Pendant des décennies, on parlait de l'Europe, maintenant on parle d'Europe du Nord et d'Europe du Sud, et je déteste ça, car cela signifie la fin d'une solidarité nécessaire. Mais je dois dire que l'austérité pour l'austérité, l'austérité à outrance peut nuire terriblement à la démocratie.

Pourquoi ? Parce que la démocratie nécessite de l'espoir. Et si on ne voit pas la fin du tunnel, l'espoir s'en va, il y a des gens prêts à croire à n'importe quoi, et c'est ainsi que les extrémismes sont en train de fleurir.

 

Lévi : Considérez-vous que l'Europe se fait, pratiquement dès le début, sans ses citoyens ?

Jorge Sampaio : La fondation de l'Europe a effectivement donné de nouvelles racines à la paix, et la paix est bien sûr la chose la plus belle que les citoyens peuvent avoir. A partir du moment où la bureaucratie de Bruxelles et les décideurs politiques risquent de perdre leur but au niveau de la solidarité générale, à cause de pressions de toute sorte, on court le risque de voir les citoyens se distancer de l'Europe.

C'est là qu'on voit encore une fois cette contradiction : quand on a un référendum, les gens se prononcent sur tout sauf sur l'Europe. Un exemple : il faut essayer de faire des élections pour le Parlement européen le même jour dans toute l'Europe. Il faut avoir des partis vraiment européens par l'addition des partis nationaux. Je sais que c'est difficile, mais il faut donner aux citoyens la raison d'être, il faut leur faire comprendre que quand ils votent il votent pour l'espace européen, qu'ils soient concernés par les 27 pays.

Enfin, il y a énormément de choses à faire pour rapprocher les citoyens de l'Europe. C'est toute une nouvelle réalité que j'ai essayé d'exprimer. Les choses ne sont pas ce qu'elles étaient il y a cinquante ans, les nouvelles générations ont d'autres aspirations, et il y a d'autres défis d'une complexité énorme.

 

Claire : La démocratisation de l'UE doit-elle nécessairement passer par la perte de souveraineté des Etats membres ?

Jorge Sampaio : Il est clair que dès le commencement il y a eu des petits transferts de souveraineté au niveau des institutions européennes. A titre personnel, je pense que pour défendre l'idée d'une Europe solidaire et qui cherche l'équité, il faut renforcer démocratiquement certaines institutions européennes.

Par exemple, j'ai toujours été en faveur de la création d'un Sénat au niveau de l'UE, bien avant le traité de Lisbonne. Ce serait une façon essentielle de renforcer le caractère démocratique de l'Europe et de faire respecter le principe d'égalité des Etats. Et de protéger la souveraineté. Plus précisément, un Sénat, comme une deuxième chambre à côté du Parlement européen qui siège aujourd'hui. Je ne vois pas d'autre manière institutionnelle de respecter le principe de l'égalité des Etats. Autre possibilité : l'élection du président de la Commission européenne directement par le peuple.

En résumé, je suis concerné par ce qui se passe en France, et ce qui se passe au Portugal concerne les Français. Il faudrait que cela soit valable dans les 27 pays.

 

Anonyme : Démocratie globalisée et capitalisme occidental peuvent-ils aller de pair ?

Jorge Sampaio : On voit qu'il y a des difficultés croissantes. En tant qu'homme de gauche, qui essaie de trouver des réponses aux défis modernes, je pense que le grand défi est précisément de construire une alternative. Et pour le moment, je dois avouer que c'est très difficile. Mais je garde l'espoir. J'espère qu'on pourra avancer sur la régulation, mais je sais aussi que les forces majeures du monde de la finance sont supérieures à l'économie réelle. Et je voudrais bien que le politique en tant que tel puisse dominer, réguler le monde de la finance.

 

Visigoth : Quelle est, très franchement, la responsabilité des politiques dans cette désaffection à l'égard de la politique et de la démocratie ?

Jorge Sampaio : Je pense que c'est quelque chose de très partagé. Mais il faut combattre le désespoir à tous les niveaux. Pour avoir une société démocratique, il ne faut jamais s'arrêter d'innover, de proposer. Il ne faut jamais perdre l'espoir.

 

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