Toutes ces dernières années, il ne s’est agi que "d’incivilités". Mais samedi soir, les choses ont changé : on est passé au stade de la vraie délinquance. La nuit du 6 au 7 octobre a été chaude à Florange, même si la plupart des 11 000 habitants de cette petite ville de Moselle n’ont appris que le lendemain, par la presse locale, ce qui s’était passé : voitures saccagées, poubelles incendiées, agression homophobe… Tout cela était l’œuvre de jeunes, certains mineurs, d’un même quartier, dit "sensible". Rien de vraiment dramatique, mais un tournant pour Florange.
Vingt-quatre heures plus tard, nouveau choc : la population découvre, là encore par la presse, qu’un inconnu s’amuse ces temps-ci à lâcher dans les rues des morceaux de saucisses fourrées de… lames de rasoir. "Qui veut la peau de nos chiens ?", se demandent les Florangeois, abasourdis. "C’est ignoble ! Quand je pense qu’un enfant pourrait ramasser ça...", s’indigne Brigitte, propriétaire d’un berger américain. "On est aux aguets tout le temps, à présent. C’est la première fois qu’il nous arrive une chose pareille. Les gens ne respectent plus rien. Il n’y a plus d’entraide, plus de savoir-vivre", répète-t-elle plusieurs fois, l’air dégoûtée.
Florange a le sentiment de vivre la fin d’un monde. Pas de psychose, mais une fatigue manifeste, une incompréhension douloureuse. Ils avaient déjà ArcelorMittal et la fermeture des hauts-fourneaux. Les voilà en plus confrontés à la violence, ouverte ou, encore pire, sournoise…
Philippe Tarillon est sur tous les fronts. Lundi, la poitrine barrée de son écharpe de maire, il défilait aux côtés des syndicalistes CFDT à travers les rues de Florange, pour, disait-il, protester contre "le cynisme" de Mittal, "ce patron que personne n’a jamais vu, sauf la seule fois où il est venu ici en hélicoptère".
Dans l’ensemble, les gens aiment bien leur maire. S’ils le reconduisent à la tête de la municipalité depuis 2001, ce n’est pas tant pour son étiquette socialiste – le Front national a fait un carton à Florange, au premier tour des présidentielles et des législatives de mai dernier - que pour sa personnalité. Ils l’admirent pour son dévouement, même si quelques uns ronchonnent contre le fait que, disent-ils, "il en fait trop pour les étrangers, plus que pour nous". Philippe Tarillon, c’est vrai, mène une politique sociale très active. Florange, dont la population compte quelque 15% d’immigrés, essentiellement maghrébins, offre ainsi 30% de logements sociaux.
Sinistrée, sa ville ? Le maire refuse de se laisser gagner par le pessimisme ambiant. La tache est rude pourtant. Le vent a tourné à partir de 2008. En quatre ans, les chiffres du chômage ont plus que doublé sur la commune pour s’établir à 15%. "On encaisse à la fois la crise nationale, la crise de la sidérurgie et celle qui se produit au Luxembourg. Même modeste, comparé à la France, le ralentissement dans le grand Duché a un impact direct chez nous, souligne l'élu. Les frontaliers sont les éléments de flexibilité. On voit maintenant arriver au Pôle emploi des gens qui travaillaient jusque là au Luxembourg ».
ArcelorMittal et le Luxembourg sont aujourd’hui encore les deux principaux employeurs de Florange et sa région. Un actif sur deux, dans la commune, travaille dans le grand Duché. Les salaires y sont plus élevés qu’en France, les avantages sociaux aussi. Du coup, Florange a des allures de ville dortoir, tandis le Luxembourg fait figure d’Eldorado. La réalité est cependant moins rose. Beaucoup s’usent les nerfs et la santé en trajets et en embouteillages, n’ayant pas les moyens de s’offrir un logement de l’autre côté de la frontière.
Et surtout, leurs emplois sont rarement qualifiés. "On nous fait faire tous les petits boulots dont personne ne veut au Luxembourg : les femmes font le ménage, les hommes sont éboueurs ou manutentionnaires. Ils sont rares, ceux qui réussissent à être cadres dans une banque. Et le pire, c’est qu’on est mal considérés là bas, avouent les plus lucides de ces transfrontaliers. Faut dire la vérité : on est un peu leurs « bougnoules », aux Luxembourgeois".
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