
Deux semaines après la parution d'une enquête du Guardian affirmant que les conditions de travail au Qatar relèvent de l'"esclavage moderne", l'ambiance reste tendue dans cet émirat du golfe Persique, qui doit héberger la Coupe du monde de football en 2022. Mercredi 9 septembre, une délégation syndicale internationale a été refoulée d'un chantier de l'entreprise QDVC, une joint-venture entre Qatari Diar, la division BTP du fonds souverain qatari, et la société française Vinci Construction.
La dizaine de membres de l'Internationale des travailleurs du bâtiment et du bois (IBB), venus enquêter à Doha, n'a pas été autorisée à visiter le site où QDVC participe à la construction du tramway de Lusail. Cette ville nouvelle en lisière de Doha, qui commence à sortir des sables, abritera le stade de 90 000 places où se disputera la finale du Mondial. Après avoir consulté par téléphone sa hiérarchie, un jeune ingénieur français a expliqué à ses interlocuteurs, venus sans rendez-vous en bonne et due forme, qu'ils ne pouvaient pas pénétrer sur le chantier "pour des raisons de sécurité".
La justification n'a pas convaincu les syndicalistes, qui en amont de leur arrivée au Qatar, et avant même le "coup" du Guardian, avaient pris contact avec Vinci Construction. "Nous les avons approchés par plusieurs canaux et nous nous sommes heurtés à un refus catégorique de visite, affirme Gilles Letort, de la CGT. C'est la raison pour laquelle nous avons débarqué sur le site sans prévenir."
MANIFESTATION AUX CRIS DE "FIFA CARTON ROUGE"
Le géant du BTP français, qui a récemment remporté un contrat pour la construction du métro de Doha et qui espère se voir attribuer quelques-uns des méga-chantiers du Mondial 2022, n'a pas été le seul importuné par la visite de l'IBB. Il a fallu que la petite troupe manifeste devant le siège du comité organisateur de la Coupe du monde, en criant "FIFA carton rouge", pour que celui-ci consente à les recevoir. Une opération d'agit-prop qui détonne dans ce pays, où les travailleurs immigrés (99 % de la main-d'œuvre dans le secteur du bâtiment) n'ont le droit ni de faire grève ni de former des syndicats.
En réaction, le président du Comité national qatari des droits de l'homme, Ali Al-Merri, s'est désolidarisé de cette mission d'enquête, pourtant organisée par ses services. "L'amélioration des conditions des travailleurs n'est pas leur objectif véritable, a-t-il déclaré. Nous leur avons pris des rendez-vous (...), mais ils veulent voir n'importe quel responsable à n'importe quel moment."
Jeudi, à l'issue d'une conférence de presse donnée par la délégation syndicale, M. Merri a salué les efforts du gouvernement pour améliorer la situation des travailleurs immigrés et dénoncé la "propagande" de la délégation.
Head of Qatar HR Committee Ali Al-Marri hints at "propaganda" while commenting the visit of the intern. trade union delegation in Qatar
— benjamin barthe (@benjbarthe) October 10, 2013
A la place du ministre du travail qatari, Ali Ahmed Al-Khalifi, qui s'est dit indisponible, les syndicalistes ont été reçus par l'un de ses subordonnés, le sous-secrétaire Hussein Al-Mollah. Celui-ci, qui avait taxé les accusations du Guardian de "conspiration", a assuré à ses interlocuteurs que les entreprises présentes au Qatar respectaient "à 99 % le code du travail", ajoutant "nous intervenons lorsque le travailleur dépose une plainte".
SALAIRES DE MISÈRE, PASSEPORTS CONFISQUÉS
Des déclarations qui ont fait sourire les ouvriers indiens et népalais réunis mercredi soir par l'IBB, dans l'arrière-salle d'un restaurant de Doha. Salaires de misère (autour de 150 euros par mois en moyenne), logements exigus et insalubres, passeports confisqués par l'employeur, accidents du travail ignorés, primes non versées ? De quoi remplir un immense cahier de doléances.
Jeudi, les enquêteurs de l'IBB devaient visiter le site de Mcheireb, un autre chantier pharaonique, piloté par l'entreprise australienne Brookfield, qui a jugé plus opportun de leur ouvrir ses portes.