« La trace d’un rêve n’est pas moins réelle que celle d’un pas »
Contester sans modération
En France, l’opposition à la réforme du code du travail et l’occupation des places par le mouvement Nuit debout ont convergé dans le refus d’une vision étriquée de la politique : évanouissement des espérances collectives dans le trou noir électoral, aménagement à la marge de l’ordre social. Assiste-t-on à la fin d’un cycle marqué par des revendications toujours plus limitées et jamais satisfaites ?
par Pierre Rimbert
Aperçu
Poids de quartz et balance en cuivre, Mohenjo-Daro (Pakistan), 2300-1500 av. J.-C.
Bridgeman Images
Demander peu et attendre beaucoup : dix-huit ans après la création de l’association Action pour une taxe Tobin d’aide aux citoyens (Attac), en juin 1998, le prélèvement de 0,01 % à 0,1 % sur les transactions financières inspiré par l’économiste James Tobin pour « jeter du sable dans les rouages » des marchés tarde à voir le jour (lire « En attendant la taxe Tobin »). La forme édulcorée que négocient sans enthousiasme les cénacles européens rapporterait une fraction du montant (plus de 100 milliards d’euros) initialement escompté.
Mais, au fait, pourquoi avoir placé la barre si bas ? Pourquoi avoir tant bataillé pour l’introduction d’une si légère friction dans la mécanique spéculative ? Le confort du regard rétrospectif et les enseignements de la grande crise de 2008 suggèrent que l’interdiction pure et simple de certains mouvements de capitaux parasitaires se justifiait tout autant.
Cette prudence revendicative reflète l’état d’esprit d’une époque où le crédit d’une organisation militante auprès d’un public urbain et cultivé se mesurait à sa modération. Avec l’effondrement de l’Union soviétique, la fin de la guerre froide et la proclamation par les néoconservateurs américains de la « fin de l’histoire », toute opposition frontale au capitalisme de marché se trouvait frappée d’illégitimité, non seulement aux yeux de la classe dirigeante, mais aussi auprès des classes moyennes désormais placées au centre du jeu politique. Pour convaincre, pensait-on, il fallait se montrer « raisonnable ».
Certes, la fameuse taxe infradécimale — 0,1 % — présente dans son inaboutissement même une vertu pédagogique incontestable : si l’ordre économique s’obstine à refuser un aménagement aussi modique, c’est qu’il est irréformable — et donc à révolutionner. Mais pour provoquer cet effet de révélation, il fallait jouer le jeu et se placer sur le terrain de l’adversaire, celui de la « raison économique ». L’idée d’un ordre à contester avec modération s’imposait en France avec d’autant plus d’évidence que l’initiative politique (...)
CONTESTER SANS MODÉRATION ! Entretien avec Pierre RIMBERT
Le
illustration : Helios GÓMEZ
Du drapeau rouge au nez rouge du clown, la contestation est devenue gentillette. On demande pas grand-chose, on obtient encore moins, mais c’est mieux que rien. En France aujourd’hui, le mouvement contre la Loi Travail a déjà le mérite de secouer ce long renoncement.
Dire ce que nous voulons, redessiner un futur, faire des rêves assez grands pour ne pas les perdre de vue quand nous courons derrière, CONTESTER SANS MODÉRATION !
CONTESTER SANS MODÉRATION ! Entretien avec Pierre RIMBERT